Rencontre avec l’équipe de Diamant noir

1/ L’écriture du film s’est faite à trois : comment l’organiser ?
Au départ Arthur Harari a développé l’idée avec un ami à lui, Olivier Séror. Même si les producteurs originellement attachés au projet auraient préféré centrer le film autour d’une histoire de braquage et banditisme, Harari préférait l’idée d’une tragédie familiale. Après avoir rencontré Vincent Poymiro, ils ont écrit pendant une longue période à deux (une première version du scénario notamment qui durait plus de 2h50). C’est à la fin d’une première version solide mais un peu trop mécanique qu’ils ont pensé à demander un autre avis, et d’apporter un œil neuf à leur scénario. Préférant avoir un regard féminin pour contrebalancer l’univers très testostéroné du film, ils ont choisi Agnès Feuvre pour retravailler à partir de cette version. Les choses ont ensuite reposé sur les échanges, une ou deux séances seulement les réunissant tous les trois. Entre la première idée du film et sa sortie, 3-4 ans se sont écoulés – et beaucoup de versions.

2/ Question sur le choix de l’intrigue principale : est-ce le rapport au père ou le milieu du diamant qui importait au départ ?
Si l’histoire de Diamant noir est avant tout le récit d’une vengeance, c’est bien le rapport au père et à la famille qui est à l’origine du projet. Un rapport indirect, puisque le père est d’emblée présenté mort et n’a pas eu de relation avec son fils depuis longtemps, mais un rapport lourd, tragique et mythologique. Cette dimension mythologique tenait à cœur à Harari, notamment au niveau de l’admiration et de la fascination que provoquent l’inconnu et l’absent. Si l’équipe a d’abord envisagé le milieu des montres de luxe en Suisse, le thème du diamant est venu après, et permettait de lier l’idée de vengeance et celle de filmer un milieu professionnel très spécifique. Le diamant a finalement un rôle essentiel à la fois visuellement et symboliquement et permet de jouer sur la lumière de manière très travaillée avec beaucoup de contrastes et un peu d’expérimentation. Une dimension esthétique qui en fin de compte a laissé beaucoup de liberté - et d’inspiration, à Arthur Harari et à son frère, Tom, directeur de la photographie.

3/ Le symbole de la main coupée : d’où vient l’idée ?
Si le symbole de la main coupée était un désir initial dans le scénario, le fait que le mythe fondateur d’Anvers, où se déroule l’intrigue, soit celui d’une amputation est un hasard heureux. L’idée de mutilation, originelle et traumatique, donne un écho intéressant à la relation du héros au père et lance le désir de vengeance qui conduit toute l’histoire. Cette idée est tirée d’une anecdote réelle dans l’ex belle-famille de Vincent et a évolué en une thématique essentielle du film – et de sa première scène marquante.

4/ Comment gérer les différentes couches d’intrigue ?
Pour Harari, le film est plus proche de la tragédie familiale que du film noir plus « sec ». De fait, l’écriture se remarque par son aspect plutôt littéraire, avec ses passages moins vraisemblables, tendant vers le mélo mais qui gardent toujours à cœur la complexité du protagoniste, Pier. Le choix venu le tournage était alors de s’appuyer sur un scénario très solide, sans céder à la tentation – fréquente pour un premier film – « d’improviser » au moment du tournage. Et étonnamment, c’est cette solidité du scénario qui leur a laissé par la suite une grande liberté et peu de coupes au montage.

5/ Négociations d’écriture à propos de l’enjeu du héros : la vengeance est-elle assez motivée ?
Lors des négociations avec les producteurs et des premiers visionnages, certains trouvaient que la relation au père n’était pas assez forte pour qu’on comprenne la motivation de Pier. Ils voulaient quelque chose plus dans l’esprit et l’explicité de Gangs of New York, de plus traumatique directement pour l’œil du personnage. Mais ce qui est intéressant pour les auteurs justement, c’est que le trauma soit indirect et déformé. Pier demande réparation pour une idée de traumatisme vécu faussée, déformée, pour un mythe que lui seul croit. La première scène, qui a changé plusieurs fois de place au fil des versions, représente un témoignage de l’accident du père qui justifie la motivation de Pier, et au cours duquel il était pourtant absent. Le spectateur est en possession du même niveau de crédulité que le personnage : cela met d’autant plus en valeur son ambiguïté morale.

6/ D’ailleurs comment a évolué la relation au père dans les différentes versions du script ? Est-ce qu’il était toujours mort dès le début du film ?
En fait non, dans les précédentes versions il y avait beaucoup de flashbacks où l’on voyait l’histoire du père : un communiste enragé, figure violente et ambivalente. On allait jusqu’à une scène où il perdait le procès contre son frère et explosait. La question s’est aussi posée de savoir s’il n’était pas plus fort d’avoir le père dans le coma. Mais le fait qu’il soit mort permettait vraiment d’ancrer la notion de mythologie et de croyance : le fait que Pier n’ait pas de contact avec son père nous permet de comprendre le quiproquo final et son besoin de trouver une figure paternelle forte et dominante (en Rachid notamment). Il était important pour eux aussi de mettre en valeur la complexité familiale avec la construction en reflet de la relation entre Pier et son cousin Gabi.

La question suivante aborde la toute fin du film : si vous ne l’avez pas vue, fuyez pauvres gens !

Dernière mise en garde !

On vous aura prévenus !

7/ ATTENTION SPOILERS !! Au sujet de la fin : le départ de Pier doit-il être vu comme une fuite ou une émancipation ?
En choisissant de ne pas réparer le rapport au père, ils ont choisi une émancipation dans une fin tragique. Certes Pier a gagné la confiance de sa famille et retrouvé une figure paternelle, mais rester serait comme se soumettre à son destin, étouffé par la culpabilité de les avoir trahis et l’impression de leur être redevable. Raison pour laquelle il refuse le pardon de son oncle, et a besoin que quelqu’un reconnaisse sa culpabilité. La fin offre une porte de sortie au héros : une libération ambiguë et paradoxale. On peut se poser la question de la résolution tragique – trop romantique ? - qui semblerait logique : mais l’idée d’un souffle étrange et d’une sublimation a motivé le choix final.

1/ L’écriture du film s’est faite à trois : comment l’organiser ?
Au départ Arthur Harari a développé l’idée avec un ami à lui, Olivier Séror. Même si les producteurs originellement attachés au projet auraient préféré centrer le film autour d’une histoire de braquage et banditisme, Harari préférait l’idée d’une tragédie familiale. Après avoir rencontré Vincent Poymiro, ils ont écrit pendant une longue période à deux (une première version du scénario notamment qui durait plus de 2h50). C’est à la fin d’une première version solide mais un peu trop mécanique qu’ils ont pensé à demander un autre avis, et d’apporter un œil neuf à leur scénario. Préférant avoir un regard féminin pour contrebalancer l’univers très testostéroné du film, ils ont choisi Agnès Feuvre pour retravailler à partir de cette version. Les choses ont ensuite reposé sur les échanges, une ou deux séances seulement les réunissant tous les trois. Entre la première idée du film et sa sortie, 3-4 ans se sont écoulés – et beaucoup de versions.

2/ Question sur le choix de l’intrigue principale : est-ce le rapport au père ou le milieu du diamant qui importait au départ ?
Si l’histoire de Diamant noir est avant tout le récit d’une vengeance, c’est bien le rapport au père et à la famille qui est à l’origine du projet. Un rapport indirect, puisque le père est d’emblée présenté mort et n’a pas eu de relation avec son fils depuis longtemps, mais un rapport lourd, tragique et mythologique. Cette dimension mythologique tenait à cœur à Harari, notamment au niveau de l’admiration et de la fascination que provoquent l’inconnu et l’absent. Si l’équipe a d’abord envisagé le milieu des montres de luxe en Suisse, le thème du diamant est venu après, et permettait de lier l’idée de vengeance et celle de filmer un milieu professionnel très spécifique. Le diamant a finalement un rôle essentiel à la fois visuellement et symboliquement et permet de jouer sur la lumière de manière très travaillée avec beaucoup de contrastes et un peu d’expérimentation. Une dimension esthétique qui en fin de compte a laissé beaucoup de liberté - et d’inspiration, à Arthur Harari et à son frère, Tom, directeur de la photographie.

3/ Le symbole de la main coupée : d’où vient l’idée ?
Si le symbole de la main coupée était un désir initial dans le scénario, le fait que le mythe fondateur d’Anvers, où se déroule l’intrigue, soit celui d’une amputation est un hasard heureux. L’idée de mutilation, originelle et traumatique, donne un écho intéressant à la relation du héros au père et lance le désir de vengeance qui conduit toute l’histoire. Cette idée est tirée d’une anecdote réelle dans l’ex belle-famille de Vincent et a évolué en une thématique essentielle du film – et de sa première scène marquante.

4/ Comment gérer les différentes couches d’intrigue ?
Pour Harari, le film est plus proche de la tragédie familiale que du film noir plus « sec ». De fait, l’écriture se remarque par son aspect plutôt littéraire, avec ses passages moins vraisemblables, tendant vers le mélo mais qui gardent toujours à cœur la complexité du protagoniste, Pier. Le choix venu le tournage était alors de s’appuyer sur un scénario très solide, sans céder à la tentation – fréquente pour un premier film – « d’improviser » au moment du tournage. Et étonnamment, c’est cette solidité du scénario qui leur a laissé par la suite une grande liberté et peu de coupes au montage.

5/ Négociations d’écriture à propos de l’enjeu du héros : la vengeance est-elle assez motivée ?
Lors des négociations avec les producteurs et des premiers visionnages, certains trouvaient que la relation au père n’était pas assez forte pour qu’on comprenne la motivation de Pier. Ils voulaient quelque chose plus dans l’esprit et l’explicité de Gangs of New York, de plus traumatique directement pour l’œil du personnage. Mais ce qui est intéressant pour les auteurs justement, c’est que le trauma soit indirect et déformé. Pier demande réparation pour une idée de traumatisme vécu faussée, déformée, pour un mythe que lui seul croit. La première scène, qui a changé plusieurs fois de place au fil des versions, représente un témoignage de l’accident du père qui justifie la motivation de Pier, et au cours duquel il était pourtant absent. Le spectateur est en possession du même niveau de crédulité que le personnage : cela met d’autant plus en valeur son ambiguïté morale.

6/ D’ailleurs comment a évolué la relation au père dans les différentes versions du script ? Est-ce qu’il était toujours mort dès le début du film ?
En fait non, dans les précédentes versions il y avait beaucoup de flashbacks où l’on voyait l’histoire du père : un communiste enragé, figure violente et ambivalente. On allait jusqu’à une scène où il perdait le procès contre son frère et explosait. La question s’est aussi posée de savoir s’il n’était pas plus fort d’avoir le père dans le coma. Mais le fait qu’il soit mort permettait vraiment d’ancrer la notion de mythologie et de croyance : le fait que Pier n’ait pas de contact avec son père nous permet de comprendre le quiproquo final et son besoin de trouver une figure paternelle forte et dominante (en Rachid notamment). Il était important pour eux aussi de mettre en valeur la complexité familiale avec la construction en reflet de la relation entre Pier et son cousin Gabi.

La question suivante aborde la toute fin du film : si vous ne l’avez pas vue, fuyez pauvres gens !

Dernière mise en garde !

On vous aura prévenus !

7/ ATTENTION SPOILERS !! Au sujet de la fin : le départ de Pier doit-il être vu comme une fuite ou une émancipation ?
En choisissant de ne pas réparer le rapport au père, ils ont choisi une émancipation dans une fin tragique. Certes Pier a gagné la confiance de sa famille et retrouvé une figure paternelle, mais rester serait comme se soumettre à son destin, étouffé par la culpabilité de les avoir trahis et l’impression de leur être redevable. Raison pour laquelle il refuse le pardon de son oncle, et a besoin que quelqu’un reconnaisse sa culpabilité. La fin offre une porte de sortie au héros : une libération ambiguë et paradoxale. On peut se poser la question de la résolution tragique – trop romantique ? - qui semblerait logique : mais l’idée d’un souffle étrange et d’une sublimation a motivé le choix final.